Spreedevous

Berlin 1940, le journal de Pierre Paboeuf

Season 1 Episode 12

Pour ce 12ème épisode, Spreedevous à voulu partager un témoignage du passé, celui de Pierre Paboeuf, prisonnier de guerre de 1940 à 1945. Nous vous proposons une lecture de passages de son journal, lu par son arrière petite-fille, qui elle-même habite à Berlin. Pierre était un paysan vendéen, prisonnier des Allemands pendant la seconde guerre mondiale, et à vécu à Berlin pendant ces temps troublés. Cette lecture retrace son aventure et est suivie d'une discussion.

 
 Réalisation, lecture, montage et mixage : Caroline Paboeuf
 Recherches et entretien : Clem et Inès
 Logo : Claire Chéry
 Musique : Frankum & Frankumjay

Fond sonor :

bbc.co.uk – © copyright 2022 BBC (https://sound-effects.bbcrewind.co.uk/) :

  • Army Drill, marching in broken step
  • Nau Crowd - Goosestep marching, with orders in German. (From 78 rpm record)
  • French Steam Trains - French Steam Train, Paris Express departs from station
  • Kitchens - Kitchen of busy French restaurant, London
  • Stones - Loose stones falling
  • Prison landing
  • World War II Nau Crowd - Large German crowd shouting Sieg heil. (From 78 rpm record)
  • Canteens - Canteen kitchen
  • The Age Of Steam - Guard's whistle
  • Germany - Berlin U-bahn, atmosphere in underground station, with trains passing, arriving & departing, doors, announcements over P.A. & indistinct speech of passengers.
  • Digging - Shovelling & digging (exterior).
  • Sirens & Gunfire - World War II Anti-aircraft Fire
  • Prison cell interior
  • Doors Prison Cell - Prison Door Cell, opened and shut.
  • Birds' Wingbeats - Chaffinches, Redwings & other passerines taking off.
  • Church Bells (Foreign) - Munster Cathedral bells ringing
  • Heavy explosions (some distortion-German wartime rec.) (reprocessed)
  • Screaming & Crying - Woman, uncontrolled sobbing.
  • Beaufighters - Exterior, steep climb. (Bristol Beaufighter, World War II)
  • Crowds cheering - 100 men, prolonged cheer

freesound.org :

  • freight-train-passing-by by sinatra314
  • ptvsrs-booing by diegolar
  • akustikfilm-deutzerbahnhof by Sonicwalker
  • Machine Factory Ambience, A.wav by InspectorJ
  • montage-maschiene-02 by mark646
  • harbor-building-site-atmosphere by felix-blume
  • air-raid-siren by cocaine
  • r11-19-army-marching-steadily by craigsmith
  • crowdbooing-01 by xtrgamr
  • sfx-hit-drop-bomb-effect-5 by waveplaysfx
  • shoveling by andersmmg
  • french-open-air-market by squidge316



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De tous les bobards que nous entendons depuis que nous sommes prisonniers à la caserne de Laval, nous ne croyons plus à rien. Mais le 11 Novembre [...] on nous emmène à la gare soi-disant pour nous emmener dans la forêt de Compiègne, pour travailler à couper du bois [...]. 

Arrivés à la gare de Laval, on nous embarque dans des wagons à bestiaux entourés de barbelés, les portes fermées et cadenassées, 60 hommes par wagon avec un seau accroché au-dessus de nos têtes. Là nous comprenons que ce n’est pas pour Compiègne qu’on nous embarque, mais pour l’Allemagne. Nous avons pris le train à Laval à 2h et nous sommes ravitaillés en pain et en conserves par les dames de la Croix-Rouge qui nous donnent chacun un quart de café. Nous repartons ensuite dans la direction de Metz et Thionville et nous avons franchi la frontière d’Allemagne à Sierck dans la soirée du 13 Novembre.

Ici il faut que je signale que le 10 Mai, quand l’Allemagne a envahi la Belgique, j’étais en permission, et il y a eu un ordre que tous les permissionnaires devaient rejoindre leurs régiments, et c’est ainsi que le 11 Mai, je suis arrivé en gare de Nantes en attendant un train en direction de l’Est. Pendant cette attente, il est arrivé en gare de Nantes un train de marchandises plein de prisonniers allemands, qui ont été reçus par les Nantais civils à coups de pierres et de cailloux.

Une fois la frontière franchie, on nous a tout de même entrebâillé les portes de nos wagons pour nous donner un peu d’air, et le 14 Novembre, sur les bords de la ligne de chemin [de fer] en pleine campagne, j’ai aperçu deux femmes qui étaient à épandre le fumier avec des fourches, et qui se sont approchées le plus près possible du convoi de prisonniers en nous menaçant de leurs fourches levées en l’air dans notre direction. Comment ne pas penser à ce moment à l’arrivée des prisonniers Allemands à Nantes, reçus à coups de cailloux. [...]

Nous arrivons le 14 dans la nuit au camp de Fürstenberg [...] qui est très grand et très propre ; il y a déjà beaucoup de prisonniers français qui travaillent au montage des baraques et à l’entretien du camp. 

À notre arrivée dans ce camp, j’ai eu la surprise de voir Zacharie Boursier, enfant de St Hilaire, qui s'est conduit envers moi en véritable salaud. Comme j’arrivais de France, comme je l’ai dit plus haut, les dames de la croix-rouge nous avaient donné au passage de la frontière une boule de pain et quelques boîtes de conserves. C'est ainsi que Zacharie me dit : “si tu as des vivres, donne-les moi, car tu vas aller à la désinfection et les Allemands vont te les prendre”. Je lui donne ma boule de pain et mes quelques boîtes de conserve, je suis parti à la désinfection le soir et j’ai passé la nuit tout nu dans la chambre ; mes effets étant restés à l’étuve toute la nuit. Le lendemain matin j’ai récupéré mes effets et j’ai revu Zakarie Boursier que j’ai prié de bien vouloir me redonner mes vivres ; mais hélas il les avaient déjà vendues au marché noir à ses copains. 

Le midi je vais en corvée de soupe et là j’ai vu Jules Bonnet de St Hilaire qui s’est trouvé de corvée de soupe lui aussi. On a causé quelques instants ensemble et il m’a dit que Zakarie faisait beaucoup de marché noir, au détriment de ses copains, et que dans le camp on l’appelait Hérode le roi des Juifs.

Après avoir passé à la désinfection on nous a changés de baraques qui elles aussi avaient été désinfectées. Là on nous a coupé les cheveux ras et mis un triangle rouge sur la veste et sur un genou du pantalon portant les lettres KG, ce qui voulait dire prisonniers de guerre. Ensuite on nous a donné un cahier avec une plaque d’immatriculation, donc nous avons à partir de ce moment perdu notre personnalité. Nous étions des numéros. [...] Dans ce camp, nous avons passé une huitaine de jours.

Le 27 Novembre on forme un commando pour aller travailler dans la banlieue de Berlin. Ce Kommando est composé de 50 hommes ou plutôt 50 numéros. Nous partons de Fürstenberg par le train accompagnés de deux sentinelles à 10 heures pour arriver dans la banlieue berlinoise à 16 heures.On nous emmène dans notre usine qui est située sur les bords de la Spree, fleuve qui passe à Berlin. [...] Nous pensions arriver dans une minoterie, ce qui nous réjouissait car on aurait peut-être l’occasion de faucher de la farine pour faire quelques plats, pour apaiser notre faim. Hélas comme minoterie c’est une fabrique de fibres ciment dont la poussière nous a déçus. 
Cette usine (Eternit) est très importante et internationale. Une fois arrivés à l'usine, on nous emmène dans notre logement qui est d’ailleurs très propre. [...] Et là encore grande déception. Dans notre dortoire il y a à notre arrivée une table sur laquelle il y a 50 couverts à nous attendre, mais hélas ils étaient vides. On a demandé aux sentinelles quand nous pourrions manger. La réponse est que du moment que nous n’avions pas travaillé, nous n’avions pas le droit de manger, il faut donc attendre le lendemain.

Par contre, sur le mur de notre dortoir et réfectoir, il y a la photo d’Hitler qui est accrochée, et nos sentinelles nous ont fait rester debout devant cette effigie tout au long du discours que le Führer à prononcé pendant une vingtaine de minutes.

Le travail n’est pas très pénible, mais au bout de quelques jours nous nous sommes plaints que nous n’avions pas assez à manger, surtout pas assez de pain. En effet le matin on embauche à 6h sans rien prendre, à 8h une demi-heure de pause pour prendre un quart de café, et il faut attendre midi. À midi nous avons une demie-heure pour avaler une assiette de soupe sans pain. Et là-dessus nous retournons au boulot jusqu’à 17h et demi. Le soir nous avons 300 grammes de pain avec de la confiture, et avec ça il faut attendre le lendemain matin à 8 heures et demie pour prendre notre quart de café. 

Heureusement pour nous, le soir après la journée faite, on nous emmenait à la cantine de l’usine faire les pluches pour la cuisine des ouvriers allemands qui prenaient leurs repas du midi à la cantine. Pendant la corvée des pluches nous remplissons nos poches de patates.


À mon arrivée à l’usine Eternit mon travail consistait à travailler avec un Allemand sourd et muet à une scie pour découper les plaques de fibro-ciment [...]. Au bout de deux mois que nous étions ensemble, il a fallu travailler de nuit ; alors on m’a mis responsable de la scierie. L’Allemand nommé Otto a pris à travailler de nuit ; c’est ainsi que le matin à l’embauche je lui apportais quelques patates fauchées pendant les pluches et il me les rapportait cuites le soir à la relève. Cet Allemand handicapé n’était pas fanatisé comme beaucoup d’autres.

Je dois aussi dire que les colis venant de France commencent à nous arriver. Colis de la famille, cols du comité d'entraide de la commune et aussi le colis Pétain. Depuis que les colis nous arrivent nous mangeons à notre faim. Quand ces colis nous arrivent, ils sont ouverts par nos sentinelles et mis dans un placard qu’ils ferment à clé. À chaque fois que nous voulons quelque chose il faut leur demander, nous ne devons pas avoir de réserves de nourriture, ils ont peur qu’on s’évade.

Après quatre mois de responsabilité à découper les plaques de fibro-ciment, avec un copain qui travaille avec moi, on décide de saboter notre travail. Quand on nous amenait une palette de 50 plaques à découper à 2m, nous les avons découpées à 1m65.
Ca n’a pas attendu longtemps avant que le contre-maître s’en aperçoive, une belle engueulade ; et comme punition pas droit au repas du soir. Et évidemment changement de boulot.


On nous met avec toujours le même copain à alimenter un gros concasseur pour broyer la pierre [...] (cette pierre contenant beaucoup d’amiante). [...] Notre chef d’équipe, un Allemand qui avait fait la guerre 14-18 et avait été prisonnier lui aussi en France nous commande de couvrir les palettes avec une “Plane”, et il me demande comment on appelait cette “Plane” en français. Je lui dit que pour nous c’était une bâche ; il a mal compris la définition de bâche et m’a traité de “Chouaine/Schwein”, ce qui veut dire cochon. Alors on s’entreprend tous les deux, car lui avait compris boche au lieu de bâche, il a été chercher une craie et m’a fait écrire sur cette fameuse Plane le mot bâche et boche plusieurs fois avant de comprendre la différence des deux mots. Enfin il s’est excusé et ca s’est terminé à l’amiable. 


Après 8 mois de travail à Eternit, les sentinelles demandent s’il y  avait des prisonniers qui voulaient changer de Kommando. Tout de suite j’ai été volontaire avec deux copains bretons qui étaient cultivateurs eux aussi avant la guerre. Nous pensions avec un peu de chance aller travailler en ferme. Quinze jours après notre demande de changement, on nous emmène tous les trois au stalag III D au camp de Lichterfelde Süd le soir. Manque de chance, on nous emploie dans une carrière de sable pendant quelques jours, puis après comme cheminots pour construire une voie de chemin de fer. 

Dans ce camp [...] on manque beaucoup d’hygiène, nos couvertures sont pleines de poux et pas question de désinfection. Aussi le soir après notre journée, on fait la chasse aux poux. [...] Pour aller sur nos chantiers, nous empruntons le métro. Nous ramassons bien précautionneusement ces parasites dans de petites boîtes et nous les déposons sur les civils Allemands, il n’y a pas de raison qu'ils n'en aient pas eux aussi.

Nous regrettons notre Kommando 402 Eternit, mais c’est trop tard.


Enfin le 22 septembre 1941 nous partons de Lichterfelde Süd pour aller dans les fermes pour l’arrachage des pommes de terre [...]. 

Le 12 décembre la terre est gelée et on nous envoie au calibrage des Kartoffel dans des silos immenses par équipes de 4 prisonniers, pas de sentinelles, juste une femme allemande pour nous commander. Les 3 copains qui étaient avec moi étaient occupés à faire les sacs et les peser ; moi j'approvisionne la calibreuse et comme il faisait froid, je chargeais trop la calibreuse. Aussi la pauvre femme ne cessait de me dire “langsam, langsam”, ce qui veut dire doucement. Au bout d’un moment la bonne femme s’énèrve et s’approche de moi avec une pelle à la main en voulant me taper sur la tête ; j’attrappe la pelle et je casse le manche en deux. Elle a fini par se calmer et s’est mise à sourire ; tout est bien qui finit bien.

Le dernier jour que nous sommes dans cette ferme les patates qui sont gelées partent pour la distillerie pour faire du Schnaps.


Enfin le 20 décembre nous retournons au camp de Lichterfelde Süd pour aller travailler à l’usine Ambi-Budd. [...] L’usine Ambi-Budd est une usine de guerre, on y fabrique des pièces d’avions et des bidons de 20 litres [...]. C’est du travail à la chaîne, mon boulot consiste à souder avec une machine électrique les deux côtés des bidons. [...] 

Nous sommes six prisonniers à faire ce boulot. Nous nous sommes mis d’accord pour faire tourner la machine dans le vide, le compteur marquait un numéro à chaque tour, mais il n’y avait pas de bidon. Ça a duré plusieurs jours mais au bout d’un certain temps on s’en est aperçu [...]. Alors le chef d’atelier a pris des sanctions, nous a menacé de nous envoyer à Rawa Ruska dans un camp disciplinaire. Toutefois nous dit-il, si vous me promettez d’être des collaborateurs pour la victoire de l’Allemagne, je passe l’éponge. Alors comme punition, on change de boulot.


Depuis quelques semaines, nous sommes souvent en alerte, mais les bombardements ne sont pas pour nous. Depuis le temps que nous attendons nos libérateurs ; est-ce pour bientôt ? 

Le 20 février 1942, les bombes sont pour nous. l’alerte a duré une demie-heure environ. Les bombes tombaient tout autour de l’usine et il n’y a eu que l’atelier des bidons qui a été détruit complètement. On nous a occupés pendant plusieurs jours à déblayer les ruines de l’atelier, nous travaillons de bon cœur sans toutefois aller trop vite.[...]

Au début, les bombardements ca se passait de nuit, maintenant les alertes sont de plus en plus fréquentes et les civils allemands, quand ils arrivent à l’usine le matin, ils font plutôt grise mine. Le manque de sommeil se fait sentir et le rendement s’en ressent. Pour nous prisonniers c’est bon.

Le 8 mai 1943 les dirigeants du grand Reich et le gouvernement Pétain se sont mis d’accord pour échanger 1 prisonnier pour 3 civils ; et ce 8 mai on voit arriver à Berlin la mission Scapini, ministre du gouvernement Pétain, avec sa milice. On rassemble plusieurs Kommandos de prisonniers au Stalag III D pour écouter le ministre qui faisait un discours pour nous encourager à travailler pour la victoire de l’Allemagne. Pour cela il nous propose de nous mettre prisonniers transformés, c'est-à-dire prisonniers civils. Au lieu d’être applaudi, il a été hué par tout le monde et a terminé son discours en nous disant “nous vous sauverons malgré vous”.

On nous emmène ensuite encadrés par la milice Pétain à la Kommandantur pour signer notre acceptation de prisonniers transformés. Mais personne évidemment ne veut signer. Alors Scapini et le chef de la Kommandantur nous ont menacés de nous envoyer au camp de discipline de Rawa Ruska, si bien que nous avons après pas mal de discussions fini par signer.

Quelques jours après cette fameuse signature, la milice de Scapini nous rassemble à nouveau et nous touchons chacun une tenue civil. Toutes ces manigances ont pour effet de supprimer les sentinelles puisque depuis l’entrée en guerre de la Russie, l’Allemagne a besoin de ses soldats.

Comme nous sommes habillés en civils, nous avons quand même plus de liberté. C'est ainsi que le dimanche de Pâques je décide d’aller à la messe à la cathédrale de Berlin avec quelques copains. En arrivant sur le parvis de la cathédrale, je me détourne et je vois un grand jeune homme portant moustache qui me dit : "Bonjour Pierre”. Je le regarde à nouveau et je lui dis: “Mais je ne vous connais pas”. Il me répond: “Je suis ton ancien vicaire de St-Hilaire”. Quelle émotion. Ma première question a été de lui demander des nouvelles de St-Hilaire et aussi des miens. Seconde question: “comment que ça se fait que vous êtes ici ?” [...] Il m’a raconté son histoire de venir pour assister les jeunes requis et pour ce qui est des miens je n’avais pas à me soucier, tout allait bien. À son arrivée à Berlin, il est allé travailler dans une imprimerie. Il est venu me rendre visite plusieurs fois à mon Kommando avec des séminaristes prisonniers transformés eux aussi.

Pour l’atelier aviation le travail marche de moins en moins bien. La cause : manque de matières premières. Il faut dire que plus ça va, plus les alertes sont fréquentes. Au cours d’une alerte, il y a eu un avion qui a été touché [...] et un des occupants de l’appareil est tombé dans la cour de l’usine. C’est un officier anglais. Une fois arrivé à terre, il plie soigneusement son parachute et s'assoit tranquillement dessus en allumant une cigarette. Les gardiens de l’usine et les pompiers l’ont emmené destination inconnue.

Le 12 janvier 1944, encore une alerte, et cette fois c’est pour nous. Il y a une bombe soufflante qui est tombée sur la rue auprès de l’usine. L’usine a beaucoup souffert. Ce 12 janvier était un samedi ; le lendemain dimanche, en revenant de la messe avec un copain nommé Renaud de Bouguenais, à côté du trou que la bombe soufflante avait fait, on trouve des chairs humaines accrochées dans une petite haie de buis le long du trottoir, et parmis ces chairs, un coeur. C’est le premier cœur humain que je vois. Avec le copain Renaud, nous avons ramassé ce cœur et on l’a enterré auprès de la barraque. Ce cœur était celui d’un marin allemand ou italien, tué par cette bombe soufflante. Je ne pensais pas qu’un cœur pouvait être si gros, à peu près la grosseur d’un poing.


Suite de tous ces bombardements, l’usine décide de nous envoyer à Wuppertal, ville pas très loin de la frontière française. Une fois arrivés en gare de Wuppertal, on ne veut pas nous recevoir, car la ville s’apprête à évacuer. Nos alliés anglais et américains approchent de la frontière. 

Nos dirigeants ne savent pas trop quoi faire de nous, ils décident de nous envoyer dans une usine de Hambourg. Nous passons par Düsseldorf, Brême, et nous arrivons enfin à Hambourg, ville qui a terriblement souffert des bombardements. [...] Nos alliés ont commencé par détruire ce qui les gênait sur leur passage afin d’arriver sur Berlin avec le moins de mal possible.

Le 8 février, premier bombardement depuis que nous sommes à Hambourg. Il  faut dire que la sirène ne sonne jamais l’alerte depuis que la ville et le port ont été rasés. Les avions passent mais ne s'intéressent plus à Hambourg. [...] Cependant ce 8 février, les bombes ont tombé sur la ville, les escadrilles se succédaient à tour de rôle. Je travaille encore dans une usine d’aviation, mais ça tourne vraiment au ralenti.

Je travaille avec une femme allemande et un matin, en arrivant à l’atelier elle se met à pleurer en me disant : “Deutschland Kaputt”, ce qui veut dire que l’Allemagne est foutue. Comme je lui réponds que la France est occupée depuis 4 ans par les Allemands, et que ça va peut- être leur tour d'être occupés. Elle me répond en pleurant de plus en plus : “si nous étions occupés par les Américains, les Anglais ou les Français, ça ne serait pas très grave ; mais nous allons être occupés par les Russes, et ce sont de vrais sauvages”. Cette réflexion venant d’une femme m’a beaucoup fait réfléchir mais, finalement lesquels occupants sont les meilleurs ?


Le 22 avril 1945 à 2 heures du matin nous sommes réveillés en sursaut par notre Lagerführer ; il faut prendre nos bagages et se rendre au camp de … car nos alliés [approchent]. Nous restons au camp jusqu’à 8 heures. À 8h nous prenons le train et nous arrivons à Ratzeburg à 72 km de Hambourg, nous passons la nuit dans une caserne et le lendemain nous partons à pied pour arriver à Mustin, tout petit patelin en pleine campagne. [...] Le 28 avril au soir, on nous prévient que les chars canadiens sont aux environs de Ratzeburg, soit à 7 km de nous (quelle joie).

À l’heure ou j’écris ces quelques lignes, 29 avril 3 heures de l’après-midi nous attendons à voir passer les chars d’un moment à l’autre. On nous laisse complètement libres et tranquilles sans travail. Qu’ils viennent, depuis 5 ans que nous les attendons !

Le 2 Mai les Américains arrivent. Le 3 mai 1945 nous partons pour la France. Avec deux camions de l’armée allemande, que les américains ont réquisitionnés pour nous. Nous passons par Ratzeburg, on traverse l’Elbe [...] et on arrive à Hanovre. Nous arrivons enfin au centre d’accueil de Valencienne, où les dames de la Croix-Rouge nous offrent un bon casse-croûte et un bon café et chacun un paquet de tabac.

De ce coup-ci c’est bien fini cette tragédie qui a commencé le 2 septembre 1939 et s’est terminée au mois de mai 1945.